Compagnie lyrique
Un siècle viennois à Paris
Pour leur quinzième production lyrique aux cloîtres de Condom, Les Chants de Garonne ont concocté cette année un montage pétillant comme du champagne autour des opérettes viennoises de Johann Strauss et Franz Lehar, « La Chauve-souris », « Le Pays du Sourire » et « La Veuve joyeuse ». Après que la troupe eut vendangé pendant plusieurs saisons les terres offenbachiennes, ce n’est que justice pour cette musique autrichienne, devenue universelle. D’ailleurs les livrets de « La Chauve souris » et de la « Veuve joyeuse » s’inspirent des librettistes Meilhac et Halévy et Strauss comme Lehar reconnaissent leur dette envers Offenbach.
Afin d’éviter d’aligner une succession d’airs et d’ensembles, Jean-François Gardeil a imaginé une mise en scène dans un style qu’il affectionne où répétitions et coulisses conduisent au concert comme un but et un achèvement. Logique dans la mesure où les protagonistes sont de jeunes chanteurs issus du conservatoire de Toulouse, dont certains sont d’ailleurs encore en formation, n’ayant pas encore passé leur prix. Et avec ce que l’on entend en deux heures de spectacle, il y a de quoi être rassuré quant à la relève du chant français! Justesse, rythme, jeu, enthousiasme, complicité, c’est un bonheur total de les voir, accompagnés de jeunes professionnels qui sont déjà dans la carrière et de quelques piliers de la troupe, pour lesquels la scène est devenue une raison de vivre.
Une fois de plus, les Chants de Garonne assurent un rôle aussi indispensable que louable quant au passage de la formation à la scène devant un vrai public. N’oublions pas que la troupe a déjà permis de beaux envols comme entre autres celui de Stanislas de Barbeyrac, qui vient de triompher cet été à Aix-en-Provence dans le rôle de Tamino de «La Flûte Enchantée». Il avait fait sa prise de rôle avec les Chants de Garonne en 2009, puis en été 2010 sous ces mêmes cloîtres condomois, avant de ravir à nouveau le public du festival en 2012 en Nemorino de «L’Élixir d’amour».
Bien qu’il soit accoutumé aux mises en scène facétieuse et auto dérisoires de Jean-François Gardeil, le public a semblé quelque peut décontenancé par le début où smartphone vissé à l’oreille, les chanteuses jaillissent de la salle dans un brouhaha de commentaires sur leur projet artistique du moment. Suit toute une scénographie des séances de travail où le chef d’orchestre et metteur en scène, incarné par JF Gardeil à contre emploi, apparaît pour le moins tyrannique, imposant plus la pression à ses jeunes chanteurs que libérant leurs énergies, jouant des rivalités et des petites lâchetés des uns et des autres. Regard grinçant d’une douce ironie, mais lucide sur le monde lyrique où les egos sont généralement flattés. On goûte également la fine ironie de cette controverse hors d’âge sur le fait de chanter dans la langue originale ou en traduction française. Scène désopilante où le directeur du théâtre, Robert Angebaud superbe, intervient pour imposer l’allemand qui est «si doux, si mélodique et si délectable» face aux rugueuses traductions françaises. Le travail avance, la pression monte et l’heure fatidique du concert arrive.
Tout se transforme et les jeunes chanteurs apparaissant dans de sublimes costumes Belle Époque prêtés par le Théâtre du Capitole de Toulouse sont transportés par leurs rôles et leurs airs. L’intrigue des ouvrages n’est ici plus de mise et airs et ensembles se téléscopent joyeusement dans le seul but de donner une musique légère, festive, insouciante sur des rythmes de marche, polka et valse. C’est d’ailleurs la fonction et l’esprit de ces œuvres servies avec enthousiasme dans une atmosphère pétillante. Le public jubile aux airs les plus connus comme le «Duo du Cavalier», la «Chanson des P’tites femmes frivoles», le septuor marche «Ah les femmes, femmes, femmes» le duo «L’heure exquise», celui moins connu «Gehen wir im Chambres séparées» extrait d’«Opernball» de Richard Heuberger pour finir naturellement en apothéose avec le «Chœur du Champagne» de «La Chauve-souris». Rien que du bonheur!
Alain Huc de Vaubert